E. Pibiri u.a. (Hrsg): Le diplomate en question (XVe–XVIIIe siècles)

Titel
Le diplomate en question (XVe–XVIIIe siècles).


Herausgeber
Pibiri, Eva; Guillaume Poisson
Reihe
Études de lettres 3
Erschienen
Lausanne 2010: Université de Lausanne
Anzahl Seiten
276 p.
Preis
ISBN
URL
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Berguerand Claude

Si l’étude des relations extérieures des États au Moyen Âge et à l’époque moderne a fait l’objet de nombreuses recherches depuis une décennie, les acteurs de la diplomatie eux-mêmes ont été peu étudiés jusqu’ici. Le colloque récemment organisé par l’Université de Lausanne témoigne cependant d’un regain d’intérêt pour ce thème. Dans cette publication, la figure du diplomate est abordée sous différentes facettes: mode de recru tement, compétences, réseaux sociaux et régimes politiques. Les douze contributions sont présentées par ordre chronologique, de la fin du Moyen Âge à la fin de l’Ancien Régime. Elles portent soit sur des diplomates helvétiques en mission hors de leurs frontières, soit sur du personnel étranger en poste auprès des cantons suisses ou de la République de Genève. Deux études, l’une abordant le personnel diplomatique de la Bourgogne, l’autre celui de la République de Venise, apportent une touche comparative à l’ensemble.

La contribution de Jean-Marie Moeglin pose la question du statut du personnel diplomatique à la fin du Moyen Âge montrant que les processus de sédentarisation des cours et de bureaucratisation des États ont favorisé la création d’un statut de représentant plénipotentiaire. L’auteur insiste sur le statut encore mal défini de l’ambassadeur à la fin du Moyen Âge, écartelé entre la nécessité de représenter le prince et la réalité de son statut personnel. Les qualités requises pour la fonction renforçaient cette dichotomie étant donné que le diplomate idéal aurait dû disposer à la fois d’un rang élevé et des connaissances juridiques et oratoires indispensables à toute activité diplomatique, exigences qui n’étaient pas toujours compatibles. L’auteur voit éga lement dans cette période l’initiation d’un processus de spécialisation et de professionnalisation de certains agents de l’État.

Portant sur la même période, l’étude d’Anne-Brigitte Spitzbarth s’intéresse au choix des ambassadeurs du duc de Bourgogne Philippe le Bon. L’auteure analyse en détail les critères de sélection appliqués lors du processus de nomination des envoyés du duc. Elle montre leur importance dans un contexte où les ambassades n’étaient pas encore permanentes et les charges non liées à un serment de fidélité. Les conclusions de l’article soulignent l’existence d’une politique de nomination systématique d’un groupe de spécialistes. Une grande attention était apportée aux compétences individuelles des candidats, que ce soit leur habilité à représenter dignement et efficacement leur souverain (savoir-être) ou leurs connaissances techniques (savoir-faire). Il semble alors qu’à une domination toujours importante des premières s’opposait de plus en plus l’émergence des secondes. Eva Pibiri parvient à des conclusions similaires dans le cadre de son analyse des critères de nomination du personnel diplomatique savoyard envoyé à Berne entre 1437 et 1454. À l’instar de la situation bourguignonne, il n’existait pas encore d’ambassadeurs permanents. Le duc et son conseil devaient donc nommer des officiers pour chaque mission. On retrouve également les critères de la maîtrise des langues et de la proximité territoriale. Étaient également recherchés un double ancrage à la fois en Savoie et à Berne, ou tout du moins l’existence de liens familiaux avec des personnages influents dans la cité bernoise. Le duc de Savoie recourrait fréquemment à des individus issus des familles patriciennes bernoises ayant passé leur jeunesse à sa cour. La Savoie disposait ainsi de quelques spécialistes des missions à destination de Berne qui formaient souvent de petites équipes de deux à trois individus. Elle recourrait également à un réseau d’agents de liaisons, résidant à Berne mais disposant de contacts privilégiés avec la Savoie.

Aureliano Martini évoque le parcours d’un individu en particulier, Antonio da Besana, qui fut durant dix ans le représentant exclusif du duc de Milan auprès de la diète confédérée. Dans ce cas également, les compétences juridiques de l’ambassadeur, sa maîtrise des thèmes intéressant les Suisses, ainsi que sa bonne connaissance des réseaux helvétiques favorisèrent sa nomination. La relation de confiance qu’il entretenait avec son souverain joua également un rôle important. C’est en effet à la suite d’une première mission conclue avec succès que da Besana se vit confier l’exclusivité des missions auprès des XIII Cantons durant une décennie.

L’article de Klara Hübner aborde une autre catégorie du personnel diplomatique en apparence moins prestigieuse que celle des négociateurs, à savoir les fonctions subalternes de la diplomatie dans les villes de la Confédération à la fin du Moyen Âge. On y distinguait en effet les fonctions de soutier, de chevaucheur et de messager à pied. À l’instar des ambassadeurs, ils étaient choisis en fonction de critères spécifiques: maîtrise des langues, des coutumes, connaissances liées au lieu d’exercice de leur fonction… le plus important étant constitué par le rapport de confiance qui pouvait s’établir avec certains membres des conseils urbains. Cette relation pouvait conduire à la nomination pour des missions «secrètes» qui conféraient un statut de spécialiste. Ces liens particuliers, parfois renforcés par des alliances matrimoniales, pouvaient amener certains individus sur la voie d’une lente ascension sociale.

À cheval entre la fin du Moyen Âge et l’époque moderne, la contribution d’Antonio Trampus porte sur l’évolution de la figure du diplomate vénitien du XVIe au XVIIIe siècles. Elle met en évidence la coexistence d’un modèle théorique, connu dans toute l’Europe, et de son application pratique, liée aux aléas des relations politiques et économiques. L’intérêt pour ce modèle provenait du fait de sa précocité. En effet, dès le XIIIe siècle, Venise disposait de consuls qui représentaient ses intérêts commerciaux à l’étranger. De plus, à partir du XVIe siècle les diplomates vénitiens étaient membres à part entière de l’administration de l’État et bénéficiaient d’une formation complète. Finalement, le titre d’ambassadeur apparut au XVIIe siècle. Antonio Trampus démontre que l’idéal type du diplomate vénitien ne correspondait pas avec la réalité vécue par les agents de la Sérénissime. Il y voit des causes à la fois juridiques, économiques et géopolitiques. Les rapports entre les États se fondaient toujours plus sur des questions économiques plutôt que sur des questions politiques. En conséquence, les critères de choix ne se basaient plus seulement sur la confiance et sur les relations personnelles mais également sur les notions de compétence et de mérite.

Après les prestigieux ambassadeurs vénitiens, Guillaume Poisson s’intéresse à une catégorie d’agents en apparence plus modestes: les secrétaires-interprètes de l’ambassade de France à Soleure dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Il démontre que ces personnages jouaient un rôle plus important que leur titre pourrait laisser penser. En effet, en plus de leur devoir de traiter la correspondance entre les deux entités, ils pouvaient être chargés de missions particulières et même devoir assurer la charge d’ambassadeur ad intérim en cas de vacance. Bilingues et très bien ancrés dans leur milieu d’adoption, ils étaient recrutés surtout en fonction de leurs liens de parenté. On voit ainsi deux familles exerçant cette charge à Soleure de père en fils durant des décennies. Continuité et fidélité constituaient donc bien les principaux critères de sélection pour ce poste. La contribution de Claire-Lise Domenech esquisse les contours d’un mémoire de maîtrise en cours traitant de l’influence du cérémonial à l’occasion du renouvellement des alliances entre la France et la Suisse en 1663. Il est à noter que la délégation suisse comptait deux cent vingt-sept personnes dont trente-six ambassadeurs pour la plupart Landamanns en titre ou anciens.

Andreas Behr évoque un cas exceptionnel en Europe au XVIIe siècle, à savoir la monopolisation de la représentation des intérêts de la monarchie espagnole auprès des XIII Cantons et de la Ligue grisonne par six représentants d’une même famille: les Casati. Se penchant sur les particularités de leur statut, ainsi que sur les modalités de leur recrutement, l’auteur montre que le statut des membres de cette famille fluctua au cours du siècle en fonction des individus et des circonstances. Analysant ensuite les stratégies de nomination, Andreas Behr constate que les Casati s’appuyaient sur un vaste et complexe réseau de clientèle assez influent pour garantir leur accréditation. L’auteur démontre ainsi que le statut de cette famille de diplomates était unique. Elle développa une stratégie familiale dont le but était l’obtention d’un poste officiel pour lui-même, lui permettant de faire fructifier les alliances conclues et de profiter des avantages financiers qui en découlaient.

Christopher Storrs livre une analyse détaillée du personnel diplomatique envoyé en Suisse par la couronne britannique de 1689 à 1789. Il montre que le choix de ce personnel, les qualités requises, le rang accordé, ainsi que la durée des missions étaient déterminés par les objectifs de la politique britannique en Suisse. Il s’avère en effet qu’aucune mission diplomatique permanente ne fut installée dans notre pays durant cette période. De plus, aucun de ces émissaires ne possédait le titre d’ambassadeur. Le rang le plus haut représenté auprès des XIII Cantons était celui d’envoyé extraordinaire. L’auteur relève également une tendance à accréditer des représentants de condition toujours plus modeste dans la seconde moitié de la période étudiée. Selon lui, ce déclin est à mettre sur le compte d’un désintéressement toujours plus marqué de l’Angleterre vis-à-vis de la politique suisse induit par le choix des Confédérés de ne plus jouer un rôle majeur dans la politique européenne.

Dans son article, Fabrice Brandli étudie la question du personnel diplomatique en poste à Genève de 1679 à 1798 pour le compte de la France. S’intéressant à leur profil et à leur parcours, il constate que la représentation française ne constituait pas une étape prestigieuse dans une carrière diplomatique. En effet, le rang le plus haut atteint à Genève ne fut que celui de résident. Profils et parcours étaient passablement hétérogènes. Il est ainsi difficile de définir un portrait type du personnel engagé par la Résidence de France. Fabrice Brandli démontre cependant le rôle prépondérant joué par les relations de clientèle personnelles ou familiales mobilisées par les protagonistes pour tenter de s’élever dans la hiérarchie sociale aussi haut que leur naissance le leur permettait. L’auteur conclut en montrant l’identification des diplomates français aux normes sociales et culturelles en vigueur dans la métropole. Le nationalisme ambiant conduit à une disqualification systématique de la petite République genevoise et de ses habitants.

Le professeur Christian Windler conclut cet ouvrage par le constat réjouissant d’un renouveau des études consacrées à la diplomatie. Résumant les différentes contributions, l’auteur rappelle qu’il serait inapproprié de parler de diplomatie au sens contemporain pour cette époque du fait de la nature même des États. Par conséquent, on ne peut non plus imaginer que la diplomatie ait pu constituer un but en soi pour une caste de professionnels formés à cet effet. Une charge de représentation constituait bien plus une acquisition d’expérience dans le cadre d’un cursus honorum dont l’objectif général demeurait l’amélioration du statut social. Christian Windler résume tout cela sous le vocable de «diplomatie de type ancien» dans laquelle les relations entre États étaient fondées sur les interactions de multiples réseaux personnels. La diversité des rôles sociaux des acteurs entraînait ainsi une grande pluralité des rôles et des normes.

Citation:
Claude Berguerand: Compte rendu de: Eva PIBIRI, Guillaume POISSON (éds), Le diplomate en question (XVe–XVIIIe siècles), Lausanne: Études de lettres 3, 2010. Première publication dans: Revue historique vaudoise, tome 119, 2011, p. 341-343.

Redaktion
Veröffentlicht am
13.07.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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